Un chef d’oeuvre : L’âge mûr 1899
H. 61,5 cm • L. 85 cm • Pr. 375 cm
Avec L’Âge mûr, Camille Claudel montre sa maîtrise artistique et sa créativité, parvenues à maturité. L’artiste traite ici du temps qui passe, de la vieillesse et de la mort, sujets chers aux symbolistes. La composition parfaitement maîtrisée traduit la fuite inexorable du temps : une diagonale relie le corps de la jeune femme suppliante à la main tendue de l’homme et à la draperie de la vieille femme. Les différents niveaux de la terrasse accentuent encore cette marche dont l’issue ne peut être que la mort. L’artiste excelle ici à représenter plusieurs moments d’une même histoire : la jeune femme montre douleur puis résignation, l’homme tente de résister mais déjà se laisse entrainer. Surtout, Claudel joue avec les vides, qui font partie intégrante de l’œuvre : l’espace entre les mains de l’homme et de la femme exprime à lui seul toute la tension émotionnelle de ce moment.
Évoqué dès 1890 dans une lettre de l’artiste, L’Âge mûr connaît une longue genèse et est exposé pour la première fois au public en 1899. Après plus de dix ans d’échanges et de tractations entre Camille Claudel et l’État, la commande publique en marbre ou en bronze de cette œuvre ne voit finalement jamais le jour. Mais un collectionneur privé, le capitaine Tissier, commande L’Âge mûr en bronze, qui est fondu en 1902. Puis, à partir de 1907, Eugène Blot, galeriste, éditeur et fidèle soutien de la sculptrice, commercialise une réduction en bronze de ce groupe.
On a souvent réduit cette œuvre à sa dimension autobiographique. Mais si la sculpture fait écho à sa séparation d’Auguste Rodin, Camille Claudel y évoque avant tout la destinée humaine : cette allégorie des âges de la vie, montrant le passage de la jeunesse à l’âge mûr puis à la vieillesse, revêt une portée universelle. Surtout, la sculptrice affirme son autonomie artistique, par une expressivité, un traitement de l’espace et une vie intérieure des personnages qui n’appartiennent qu’à elle.
1876-1881 : Une vocation précoce découverte et encouragée par Alfred Boucher
La vocation de la jeune fille oppose ses parents. Femme et sculpteur sonnent comme un défi en cette fin du XIXe siècle où le choix pour les femmes se réduit soit au mariage soit à une carrière qui induit la solitude et le renoncement à une vie de famille.
1881-1885 : L’arrivée à Paris et la rencontre avec Auguste Rodin
La vieille Hélène 1881-1882
Terre cuite – H. 28 cm • L. 20 cm • Pr. 18,5 cm
La Vieille Hélène, ou Buste de vieille femme est une sculpture en terre cuite réalisée par Camille Claudel vers 1881-1882. D’après Mathias Morhardt, son premier biographe, ce portrait de jeunesse serait la première œuvre signée de l’artiste. Il représente une des domestiques de la famille Claudel. Le chignon très fin indique son origine modeste.
Le modèle avance son visage et le détourne légèrement pour l’offrir à l’observation sagace de la sculptrice. Ses lèvres sont rentrées, son menton saillant. Le regard semble amical et amusé par l’exercice de la pose. La vieille femme devine-t-elle déjà que Camille Claudel n’épargnera aucun défaut ? Qu’elle recherchera dans son visage toute la vérité et marquera avec profondeur chaque ride observée ? Les plis du front, les commissures de lèvres, des yeux sont profondément marqués. La peau du cou est relâchée.
Mathias Morhardt rencontre Camille Claudel en 1896. Il écrit un article « Mlle Camille Claudel » publié dans la revue Le Mercure de France en mars 1898 et imagine la maison familiale devenue « dépendance d’un atelier » où chaque membre assiste la sculptrice, par des tâches subalternes ou encore de longs moments de pose. Camille Claudel était-elle alors aussi exigeante avec son entourage que l’a décrit Mathias Morhardt et comme l’a raconté son frère Paul Claudel ? Quoi qu’il en soit, le portrait de la domestique montre que, comme beaucoup d’artistes, la sculptrice s’est entraînée à l’art du portrait en faisant poser son entourage.
1882 Boucher part à florence. RODIN accepte de le remplacer auprès de Camille Claudel
La porte de l’enfer
Rodin avait reçu en 1880, de la direction des Beaux-Arts, la commande de la porte du futur musée des Arts décoratifs (La Porte de l’Enfer), qui devait être construit à l’emplacement de la Cour des comptes incendiée pendant la Commune en 1871.
Il obtient bientôt celle des Bourgeois de Calais (commande officielle en janvier 1885)
La Porte de l’Enfer est un groupe de sculpture monumentale (6,35 × 4 m) , qui constitua tout au long de sa vie son plus important travail et d’où furent extraites pendant plus de 30 ans ses plus fameuses sculptures individuelles dont les trois ombres, le petit penseur, le baiser, la Danaïde
1886-1893 Auguste Rodin et Camille Claudel – un dialogue artistique passionné
Le bonheur d’être toujours compris, de voir son attente toujours dépassée dit Rodin
En 1887, lors d’un premier voyage en Touraine à la recherche de références pour l’élaboration du Monument à Balzac, Camille Claudel et Rodin séjournent au château de l’Islette à Azay-le-Rideau. Camille Claudel y retournera pendant quatre étés consécutifs. Elle y élabore son projet de buste de la petite-fille du propriétaire du château, La Petite Châtelaine.
La petite chatelaine

Exposition 1887 Le Jeune Romain et la jeune fille à la gerbe
Société Nationale des Beaux Arts
Créée par Rodin, en 1889, elle expose le buste de Charles Lhermitte. Elle devient membre du jury en 1991.

Buste de Rodin
Au début des années 1880, Camille Claudel développe dans sa sculpture une veine naturaliste qu’elle convoque à nouveau avec un buste de Rodin qu’elle modèle entre 1886 et 1888. La tête aux traits marqués, au nez et au front forts rend ici compte des saillies de chaque petit muscle et des rides marquant le visage du sculpteur. Celui-ci fut plusieurs fois le sujet des travaux de Camille Claudel, apparaissant également dans des dessins ou encore dans un portrait peint aujourd’hui perdu.
Exposé pour la première fois au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1892, le buste de Rodin est immédiatement remarqué, suscitant l’admiration de la critique pour qui Camille Claudel réussit à traduire « le visage profond, calme du génie » comme le soulignait encore en 1900 Edmond Pilon dans l’Iris. L’œuvre devient dès lors une sorte d’emblème, de portrait officiel de l’artiste qui accompagne les grandes expositions consacrées à Rodin à travers le monde, de Chicago à Amsterdam et de Prague à New York.
Des rares portraits du maître que nous connaissons, c’est sans conteste, avec celui de Jules Desbois, celui qui a le plus marqué les esprits.
1893-1908 : l »indépendance affirmée
A partir de 1893, Camille Claudel s’éloigne de Rodin et s’isole dans son travail, exaspérée par les critiques, même les plus élogieux, qui s’empressent de rapprocher son travail de celui de son maître. Elle n’aura de cesse de prendre ses distances pour affirmer sa différence et son autonomie. Elle s’engage dans de nouvelles directions et commence les « croquis d’après nature », inspirés du quotidien.
Rodin succède à Dalou comme président de la section sculpture à la Société nationale des beaux-arts et Camille Claudel est reçue sociétaire. Elle y expose deux œuvres majeures : La Valse (n°37) et Clotho (n°38).
Ce buste de Clotho chauve est probablement une étude pour une figure présentée en 1893 au Salon : Claudel expose une version en plâtre de Clotho, en pied. La vieille femme est emprisonnée dans une épaisse chevelure, qui forme une résille masquant le haut du visage, et dont le poids semble la paralyser. On peut penser que l’artiste fait de ces épais cheveux une image du fil de la destinée. Cette œuvre fait une forte impression aux critiques d’art, qui consacrent Camille Claudel comme une des grandes sculptrices de son temps. Mathias Morhardt organise une souscription pour offrir une version en marbre de Clotho au musée du Luxembourg, mais l’œuvre est refusée par le musée puis disparaît mystérieusement.
Dans la mythologie grecque, les Moires sont trois sœurs présidant à la destinée humaine, symbolisée par un fil : la plus jeune, Clotho le file, Lachésis le dévide et Atropos le coupe. Or, Camille Claudel représente ici Clotho comme une vieille femme décharnée, à la peau flétrie et tombante, dont le visage creusé aux orbites presque vides tient plutôt de la tête de mort… Elle condense la triade mythologique en un seul personnage. Camille Claudel reprend ici des thèmes qui lui sont chers, la destinée humaine et la vieillesse.
La sculptrice a probablement pris pour modèle Maria Caira, modèle italien ayant aussi posé pour Auguste Rodin et Jules Desbois. Elle partage ainsi avec d’autres sculpteurs une réflexion offrant un nouveau regard sur la vieillesse : nulle idéalisation, elle insiste au contraire sur l’horreur que peut susciter ce corps flétri par l’âge, tout en lui donnant une grande dignité.
1894 Le dieu envolé, la petite châtelaine bronze, contemplation, psaume et premier pas
NB L’artiste leur donne parfois des titres différents : La Petite Châtelaine, Jeanne enfant, Contemplation, La petite de d’Islette, Petite folle, L’inspirée, Portrait d’une petite châtelaine, Petite Fille.
Le dieu Envolé
1895 1ères commandes : Clotho et l’âge mûr.
En 1896, Camille Claudel fait deux rencontres importantes : Mathias Morhardt, rédacteur au journal Le Temps, et la comtesse de Maigret, qui sera sa principale mécène jusqu’en 1905.
Au Salon de l’Art nouveau de 1896, elle expose une version de La Valse en grès flammé Muller et un plâtre des Causeuses dont un exemplaire est conservé au musée de Nogent-sur-Seine. Au Salon de la Société nationale des beaux-arts, elle présente La Petite Châtelaine, en marbre (n°24 bis).
Les causeuses

H. 53 cm • L. 27 cm • Pr. 34 cm
Camille Claudel a réalisé La Sirène ou La Joueuse de flûte vers 1904-1905. Le fondeur Eugène Blot a acquis le plâtre pour éditer six exemplaires en bronze. C’est l’un de ces exemplaires qu’il est possible d’admirer au musée Camille Claudel.
Une jeune femme d’une grande sensualité, le dos cambré, l’importance des hanches accentuée par des jambes accolées, est assise sur un rocher. Sa main droite effleure une flûte. La tête relevée, la femme approche sa bouche de son instrument mais ne le touche pas. Le souffle semble s’échapper de ses lèvres, laissant imaginer une musique envoûtante. La légèreté des draperies, dans le style Art nouveau, les doigts au fin modelé, accompagnent le mouvement des bras, dans une envolée musicale.
La sculptrice a évoqué cette œuvre dans plusieurs lettres adressées à Eugène Blot. Dans la première lettre, elle propose de lui vendre « une petite faunesse ». Ensuite, dans une autre lettre, elle lui fait part d’une idée pour une version intégrant l’onyx : « Vous pouvez, si le cœur vous en dit, faire faire une de vos Sirènes avec un rocher en onyx vert (rappelant la mer) ; la flûte en métal brillant. ». Cette version a sans doute été envisagée par Eugène Blot, mais n’a jamais été réalisée.
De la faunesse ou de la sirène, créatures mythologiques, Camille Claudel ne retint pas les aspects monstrueux, mais le lien étroit de chacune à la musique et à la sensualité. La sculptrice n’a-t-elle pas insisté sur l’aspect dangereusement séducteur de la joueuse de flûte susceptible de charmer le visiteur ?